Partie 1
Sur la vitre froide, il colle son front. La chaleur l'étouffe. De mal aise, il ferme les yeux et soupire. La sueur perle sur ses joues, suinte sur la courbe de ses cils, glisse sur ses cernes. Sa langue passe sur ses lèvres sèches. Le car, soudain, s'enraye. Le moteur se noie, pousse un dernier râle et, rend l'âme. Le chauffeur a juste le temps de se ranger sur le bas coté. Parmi les élèves de terminale, certains se penchent, d'autres se lèvent pour jeter un œil devant. Les regards inquiets, se communiquent, s'échangent. Pour une minorité -majoritairement masculine-, la situation est cocasse mais amusante. Sur le premier siège, un des deux professeurs accompagnateurs part en quête de nouvelle. Sous la carlingue, on retient son souffle.
- Bon, nous avons un petit soucis avec le bus.L'inutilité du constat fait sourire l'auditoire.
- Nous allons contacter la compagnie pour qu'il nous envoie un autre bus.
- Est-ce qu'on pourrait au moins descendre et prendre l'air ? s'enquit de demander un étudiant.
Les enseignants se concertent.
- Oui mais ne vous éloignez pas.Tous les corps se précipitent vers la sortie. Dans la tumulte se glisse le corps de Cromwell. Dehors, la déception l'afflige. Pas un brin d'air. Il suffoque presque. La canicule pèse et le rend plus morose encore que d'habitude. Entouré d'un groupe d'amis, on passe un bras sur ses épaules. Le contact le force à faire un écart.
- Ne me touche pas ! Il fait assez chaud comme ça !Il décolle son T-shirt de sa peau, le secoue pour amener l'air. Dans son dos, la route. Une voiture passe, remarque l'attroupement et le véhicule fumant. Elle se range sur le bas coté. Derrière, une silhouette remue. Devant,un homme aux traits durs, sort.
- Vous avez besoin d'aide ? demande t-il en s'approchant d'un encadrant.
La discussion s'engage.
Un coup de coude dans ses côtes, pousse Cromwell à se retourner. Juste à temps pour voir le second passager s'extirper de l'auto. Lunettes de soleil sur le nez, mains dans les poches, elle balance ses jambes vers son père.
- Trop bonne... lance un camarade.
Je me la ferai bien.A ces mots, les autres, gloussent niaisement. Pas lui. Critique, il la détaille. Rien ne va. Il ne lui trouve que des défauts. Un visage inexpressif, une démarche trop assurée, des seins trop petits, un teint trop pâle. Non, cette fille, n'a rien pour elle. Le dégoût transparait sur sa figure.
Les minutes s'écoulent. Dans le mutisme pour lui, dans la parole pour les autres. Si sa bouche s'ouvre, ce n'est que pour montrer sa langue fourchue. Il râle, jure et menace. Enfin, un nouveau bus arrive. La dépanneuse le suit de près.
- On repart ! prévient un professeur.
Un par un, on remonte. Par frustration et énervement, l'adolescent se cale dans une rangée vide. Au fond, les rires et les messes basses ne lui parviennent pas. Derechef, ses paupières tombent. Cette fois, il s'endort. Un caillou sur la route provoque un soubresaut. Sa tête se cogne contre la vitre. Il se réveille en grimaçant. Les muscles endoloris, il se contente de tourner la tête.
- Qu'est-ce que... murmure sa bouche.
Elle est là. Assoupie contre lui, ses lunettes remontées sur son crâne. Les autres, pouffent silencieusement.
- Qu'est-ce qu'elle fout là ?
- Elle s'est glissée avec nous dans le bus pendant qu'on montait.Incrédule, perdu, et exaspéré, il les fixe tour à tour de ses yeux noirs. Il pense à son père qui, probablement, la cherche désespérément. Il imagine les retombées quand les enseignants l'apprendront. Un mal de crâne se déclare. Agacé par ce voyage, il se redresse, la bouscule et met brusquement fin à son sommeil.
-
Va dormir ailleurs. Tu m'étouffes.Devant cette mauvaise humeur, encore passablement ankylosée, elle le toise avec surprise et incompréhension. Et, spontanément, décide de lui assenez une gifle. Magistrale, elle résonne encore entre ses oreilles. De stupeur, ses yeux s'écarquillent. Personne, n'avait jamais osé lever la main sur lui.
-
Apprend à être un peu plus aimable, lance l'intruse en filant s'asseoir plus haut.
Partie 2
-
Tu n'arrêteras donc jamais de te plaindre...Les bras croisés dans son dos, elle se hisse sur la pointe des pieds, rejoint sa bouche boudeuse. Elle embrasse ses lamentations, baise ses angoisses et caresse ses envies. L'étreinte ne tarit ni sa soif, ni sa faim. Elle les alimente, la décuple et l'empoisonne. Le venin de ses lèvres, réduit sa raison, exacerbe ses pulsions. Sa main s'égare sous son haut, se love dans le creux de ses reins, descend sur son fessier, le long de sa cuisse. La sienne, aussi vorace, griffe la chair de son dos. Mutuellement, ils se poussent et se repoussent. Le sort les lie.
Partie 3
Il s'épanouit. Lentement. Comme un tournesol, il se tourne vers l'étoile brûlante. Le reste du temps, il se languit, dépérit. Quatre à quatre, il avale les escaliers. Au second étage, il entre dans un couloir et bifurque. Sur la porte, trois chiffres : 077. Sur le seuil, sans raison aucune, il sourit. Ses doigts se referment sur la poignée. La porte s'ouvre de l'intérieur et lui échappe. La figure sévère d'un homme apparaît devant lui.
-
C'est toi ! l'accuse t-il.
C'est toi qui a pris ma fille !Il l'attrape par le col. Derrière, sous les yeux des professeurs réunis, la fugueuse bondit, l'étrangle.
-
Lâche-le !Trop fragile, un coup d'épaule l'envoie au tapis. Dans la chute, sa tête se cogne contre une commode. Elle perd conscience.
Partie 4
- Seize ans...L'annonce est de plomb. Elle n'a que seize ans. Trois ans les séparent. A ce stade de leur vie, c'est un gouffre. Dans dix ans, une petite flaque. Trahi et leurré, il quitte son chevet, l'hôpital. A chacun de ses pas, il la maudit. Son souffle, l'aime encore.
Partie 5
Il se retourne. Elle est là.
-
Dégage ! s'exclame t-il en pressant le pas.
-
Mais, écoute-moi au moins !Elle s'accroche à son bras, tente de le retenir. Sept mois qu'elle le cherche. Son regard cherche le sien. En vain. Il ne veut pas la voir. Elle plante son corps devant lui, l'empêche de passer. Il fait demi-tour. Elle le rattrape et réitère.
- Tire-toi !
- Non.Ses doigts enserrent son avant bras. Il tente de s'en défaire mais elle tient bon.
- Regarde-moi ! supplie t-elle.
Regarde-nous !La dernière formule l'interpèle. Nous ? Il daigne enfin lui jeter un coup d'œil. Il contemple son visage avec dureté. Son être blessé se souvient, exige sa fuite. Et, même sans l'existence de ce ventre arrondie pointé vers lui, rien qu'en rencontrant son regard, il abandonne et cède. Elle le possède.
Partie 6
- Mets-lui son chapeau, insiste t-il.
Il fait chaud dehors.- Mais puisqu'il y a de l'ombre au parc, rétorque t-elle.
Arrête de t'inquiéter pour rien.Il mordille sa lèvre, inspire pour faire taire ses craintes. L'enfant, soulevé par ses deux ans, tend les bras vers lui. Sa mère s'empare de l'un d'eux.
- On y va.Elle secoue la tête. Ses cheveux fins volent autour de sa figure ronde. Les lèvres retroussées, elle lève les yeux vers son père. Il retrouve bien là sa propre mine boudeuse. La réflexion le fait doucement sourire. Il esquisse un mouvement pour la prendre et l'embrasser. Mais, sa mère tire de l'autre coté et l'en empêche.
- On revient dans une heure, lance t-elle en descendant les escaliers du vieil immeuble.
Les heures passent. Aucune nouvelle. Il a fini ses travaux depuis longtemps et, se ronge les sangs. La sonnerie de son portable retentit. Il bondit. Sur le petit écran s'affiche en lettres noires FAUST. Il décroche.
- Quand tu décides de traîner, préviens-moi au moins ! s'enquit-il de répondre.
Au bout du combiné : le silence.
- Faust ?Un bruit, semblable à un étranglement, accélère son cœur.